

L’ultime consolation
Le chapitre général de l’Ordre Cistercien devrait prochainement déménager, avant 2020, et quitter la France pour s’installer probablement en Asie du Sud Est.
Pratiquement dix siècles d’histoire de France partiront avec lui et nos assises traditionnelles et sacrées devant la mort les suivront aussi en partie.
Certes les gens veulent de plus en plus des cérémonies civiles, certes les prêtres se font rares et pourtant, l’humain restera toujours aussi désemparé devant la mort.
Sur qui pourra-t-il compter alors demain en France ?
Sur vous, avec des cérémonies civiles et de beaux établissements funéraires ?
Pour l’anecdote, en juillet 1992 je retrouvais mes anciens complices et confrères d’OGF pour un tournage pédagogique au Père Lachaise, avec au menu ce que nous avions pensé quelques années auparavant en matière de cérémonial personnalisé.
Et en soirée de ce même jour, je repartais à Lyon avec le Vénérable Ghosananda (patriarche bouddhiste cambodgien) avec qui j’eu la chance de partager un tête à tête tout le week-end sur le thème de la vie, de la mort et de la douleur. En l’espace de quelques heures, j’assistais donc au déroulement d’un menu complet de produits et services funéraires et j’encaissais un peu plus tard la réponse du Vénérable à ma question posée sur le quai de la gare : «qu’est ce qui est le plus important face à la mort ?».
Réponse : «Ce qui est le plus important à la seconde même : monter dans le train».
Chers amis, depuis cette journée, cela fait maintenant 23 ans que je constate des efforts méritoires chez les professionnels concernant le cérémonial. Mais en terme de «matériaux» du dernier hommage, je déplore qu’il y ait en cérémonie trop souvent des évocations du défunt et de son passé et trop rarement l’expression de quelque chose de palpable sur l’avenir du défunt et le sens de la vie et de la mort pour chacun.
En effet, se rappeler, c’est mettre (très provisoirement) un peu de baume sur la douleur de la perte mais cela n’atteint pas sa racine qu’est la peur.
La mort est une déstabilisation diffuse, quotidienne et résistante à la logique de réflexion.
Pour y apporter un début de réponse, il faut effectivement s’exercer à se souvenir mais en tirant le curseur de la mémoire bien plus loin que la durée d’une génération humaine.
Le sens de la vie et de la mort enjambe les millénaires ou alors il est nul, engouffré dans l’absurdité de l’infini espace/temps. C’est sur ce point que les religions contribuent le plus au cheminement du travail du deuil.
Dire qu’on s’aime pour l’éternité implique de croire que celle-ci n’est pas scellée à tout jamais. Guérir du deuil, c’est apprendre à se connecter avec ce qui est hors de notre histoire personnelle. Que suis-je avant ma naissance ? Et après ma mort ? (Les deux questions sont liées).
Apprendre à naviguer ailleurs, pour suivre le défunt, doit commencer par rencontrer les autres sur un nouveau no man’s land. Le train qu’évoquait le Vénérable en 1992, c’est le concret du «vivre pleinement et ensemble».
L’autre est en moi et moi je suis dans l’autre. Quand je monte dans le wagon, pour reprendre l’image employée par le Vénérable, je dois être pleinement conscient de mon acte et de l’entourage dans lequel il s’accomplit.
Cette dimension de la conscience dans l’acte est centrale dans une cérémonie.
J’irais même jusqu’à écrire que la nature des gestes accomplis dans les rites importe moins que la façon de les vivre, indifféremment du caractère religieux ou civil de la cérémonie. Le professionnel funéraire doit donc travailler continuellement sur lui pour élever son niveau de partage et savoir entraîner les autres sur la même voie pendant la durée du dernier hommage.
On peut recourir à toutes les techniques et tous les objets, rien ne peut remplacer la nécessité de vivre sous un autre mode de fonctionnement, ne serait-ce que quelques minutes. Cette expérience, je l’appelle le sel d’éternité, comparable au sel de l’alchimiste dans le grand œuvre. Goûter ce sel, c’est sortir de son histoire personnelle et savoir se relier à tout, à une fleur, un arbre, une étoile et pourquoi pas à sa voisine.
C’est peut-être cela, l’ultime consolation…
Fiche technique